11 mars 2007

Pâté de campagne présidentielle 2007 - La France en noir et (surtout) blanc

Peur sur la France

21 avril 2002. Impossible d'oublier cette date. C'est un coup de tonnerre : Jean-Marie Le Pen se retrouve au second tour de l'élection présidentielle face à Jacques Chirac. La France a peur. Ou plutôt "on" nous demande d'avoir peur et de "faire barrage" au Front National en votant massivement pour le représentant de la droite autoproclamée républicaine incarnée par Chirac, héros malgré lui. A l'initiative de la gauche et notamment du Parti Socialiste, des manifestations monstres sont organisées partout en France pour frapper les consciences sur le danger "fasciste" Le Pen qui, avec 17 % de votants, menacerait le pays. On connait le résultat de cette manipulation des foules. Chirac est élu avec 82 % des voix et alors qu'on attendait un gouvernement de coalition pour ressouder le pays autour des valeurs républicaines qui l'avaient ainsi porté une nouvelle fois au pouvoir, Chirac a nommé un incompétent comme lui au poste de Premier Ministre en la personne de Raffarin (plus nul, tu meurs), lequel a constitué un gouvernement bien ancré à droite. Aux élections législatives qui suivirent, le FN n'obtint plus que 11 % des suffrages et aucun député.

Touche pas à mon poste

Le Pen représentait-il réellement un danger ? Le Pen est un homme politique hors pair, un tribun qui maîtrise comme personne la langue française et possède une grande culture. En cela, il est charismatique et nul doute que lorsqu'il disparaîtra de la scène politique, c'est-à-dire bientôt, le Front National qu'il incarne à lui tout seul sombrera. Ce n'est pas un hasard si comme Arlette Laguiller pour Lutte Ouvrière, il se présente à nouveau à la présidentielle. Il est le seul à pouvoir autant rassembler et s'imposer comme le maître à bord du "Paquebot" (nom du siège du Front National). Le félon "Mégret" qui avait tenté un putsch en créant le MNR n'a pu que constater son impuissance à jouer les leaders nationalistes et a dû se résoudre après moultes condamnations judiciaires dans sa gestion de la Mairie de Vitrolles à regagner les pénates du FN, espérant sans doute, devenir calife à la place du calife.

La facture de la fracture

La base électorale du FN est connue. Hormis un noyau dur de nationalistes nostalgiques de Pétain, le FN s'est surtout imposé dans les couches populaires qui se sont senties abandonnées par la gauche et les politiques privilégiant le capital au détriment des salaires et de l'emploi. La mondialisation, les principes de subsidiarité de l'Europe sur les lois nationales et l'adoption de l'Euro ont été vécus comme des actes de trahison par le peuple ouvrier et les paysans qui ont pris de plein fouet la dérégulation économique et financière et la remise en cause des droits sociaux. Le chômage, la misère en sont les conséquences et face à la complicité des partis au pouvoir à entretenir cette "fracture sociale" comme dirait le bon docteur Chirac, le Front National, bien que très libéral (à travers le démantèlement des services publics par exemple), n'a eu aucune peine à séduire les plus fragiles et parmi eux quelques francs neu-neus (voir
cette séquence du zapping à la minute 1:54) en stigmatisant le "tous pourris" (hélas souvent fondé) de la classe politique dirigeante et en désignant un coupable fantasmagorique incarné par l'immigré qui pillerait indûment le pays (allocations, logement réservé, soins gratuits, etc.) comme l'Europe de Bruxelles pillerait notre souveraineté par ses lois iniques. En a découlé le slogan "Les Français d'abord", certes simpliste mais efficace car facile à comprendre et à s'identifier.

Enfin, comme tous les partis situés aux extrêmes de la carte politique, le FN attire aussi le vote contestataire de gens plutôt de gauche. Cela a été le cas en 2002, ce le sera également cette année. Certains comme Dieudonné (hou,
le vilain méchant antisémite !) ont laissé croire qu'un vote massif en faveur de Le Pen pourrait contribuer à faire exploser le système (Dieudonné votera Bové au 1er tour mais ne dit pas non à un vote Le Pen s'il est au second tour...) afin de bâtir une nouvelle République.

Le zozo du zoo

Le FN fait peut-être peur mais son assise politique aujourd'hui n'est pas celle d'un grand parti. Depuis 2002, il ne dispose d'aucun parlementaire, sauf 5 députés au Parlement Européen (dont Le Pen lui-même). Il ne contrôle aucune région, aucun département, aucune structure intercommunale, seulement deux communes de taille modeste (Orange, 30 000 habitants, dirigée par le traître Jacques Bompard aujourd'hui proche de De Villiers, et Chauffailles, mégalopole de 4 500 habitants, située
en Saône-et-Loire...). Cela n'a pas été cependant le cas par le passé.

Créé en 1972, le Front National est resté groupusculaire jusqu'en 1981, date à partir de laquelle François Mitterrand, alors Président de la République, va instrumentaliser Jean-Marie Le Pen à des fins électorales. Pour mieux le faire exister, il le médiatise et demande à Julien Dray, alors responsable du syndicat étudiant UNEF (sous-marin du Parti Socialiste), de créer un grand mouvement de jeunesse sur un thème facilement fédérateur. L'association SOS Racisme était née et grâce à elle, le Front National ne s'est jamais aussi bien porté et a pu essaimer ses idées "humanistes" sur les immigrés venant de pays pauvres (Afrique, Moyen-Orient et Europe de l'est) auprès des autres partis de droite gouvernementale. On se souviendra ainsi de la fameuse phrase de Chirac sur le
bruit et les odeurs des étrangers prononcée en 1991. De même des accords de liste passés entre le RPR et l'UDF (Bayrou s'en souvient-il ?) avec le Front National lors des élections régionales en 1986 puis des accords de gestion en 1998 pour diriger des Conseils généraux et surtout régionaux (Languedoc-Roussillon, PACA, Lorraine, Picardie). Lors de son allocution d'adieu (snif), Chirac (même pas peur) qui a déclaré "aimer la France et les Français", s'est fendu d'un avertissement contre "le poison de l'extrémisme, de la xénophobie et de l'antisémitisme". Gonflé... mais du 100 % Chirac.

Ces alliances de la droite "républicaine" avec le FN banalisent les idées de ce dernier. Aujourd'hui, sous la houlette de Nicolas Sarkozy, l'ex-RPR devenu UMP n'a plus peur d'afficher des valeurs communes avec le FN et donc de draguer sans complexe une partie de son électorat. On invite dorénavant plus facilement Jean-Marie Le Pen (mais aussi sa fille, dauphine naturelle) faire le zozo sur les plateaux de télévision, comme si, finalement il faisait parti du zoo politique au sein duquel on lui a construit sa cage. Le jeu est totalement hypocrite car on ne sait pas si cela sert le FN ou le dessert. D'un côté, Jean-Marie Le Pen n'arrive pas à obtenir (comme chaque fois qu'il se présente) ses 500 parrainages (Sarkozy a heureusement promis de l'aider pour montrer aux électeurs tentés par le FN qu'entre lui et Le Pen, on pouvait s'entendre) et de l'autre, il est crédité de 15 % des intentions de vote, comme en 2002... L'Histoire se répèterait-elle ?


Encore une fois, les grands partis et les medias qui leur sont inféodés (c'est-à-dire quasiment tous) rejouent à nous faire peur afin de mieux orienter notre vote (le fameux vote "utile"). Le FN est une variable d'ajustement électorale dont se servent au gré de leurs intérêts UMP et PS. Dans ces conditions, tout sera fait pour qu'il n'ait jamais le pouvoir ou dit autrement que le système politique et institutionnel reste tel quel, anti-démocratique. Je précise, au cas où, que je ne fais pas ici l'apologie du Front National avec qui je ne me sens pas la moindre affinité idéologique, ni ne partage les goûts et les couleurs (ou plutôt son absence). C'est juste un constat et ce raisonnement concernant la confiscation du pouvoir par le tandem UMP-PS vaut pour tous les autres partis, y compris le parti pro-révolutionnaire de Che Gai-Bayrou (j'y reviendrai dans le billet qui lui sera consacré).

Le Vicomte est bon

Peu de choses séparent le FN de son frère ennemi, le Mouvement Pour la France créé en 1994 et dirigé par - inspirez un grand coup - Monsieur le Vicomte
Philippe Le Jolis de Villiers de Saintignon (... dans ta gueule). Toutefois, à l'inverse de Jean-Marie Le Pen, De Villiers cumule les mandats politiques. Elu député à l'Assemblée nationale dès le 1er tour depuis 1988 et, depuis cette même année, Président du Conseil général de Vendée qu'il considère comme son royaume, De Villiers est également depuis 2004 député au Parlement européen (il a abandonné son siège à l'Assemblée nationale pour cause de cumul des mandats). Son parcours politique entre les différents partis de droite (UDF notamment) et aux côtés de quelques personnalités sulfureuses (notamment Charles Pasqua avec qui il crée le RPF en 1999) lui a permis de bâtir une assise politique et électorale suffisante pour pouvoir jouer dans la cour des grands. Aujourd'hui, malgré ses 2 % d'intentions de vote, il n'a eu aucun mal à recueillir les 500 parrainages nécessaires à sa candidature à la présidentielle.

Se présentant comme le défenseur de la France qui travaille, Philippe de Villiers tient beaucoup de sa popularité locale aux succès du spectacle et du parc d'attractions du Puy-du-Fou (1 million de visiteurs par an) qu'il a créés et qu'il dirige de main de maître en leur assurant un auto-financement. Une affaire dont il se glorifie pour séduire le monde patronal et les médias...

Le Pieu du Fou contre Allah

L'affichage religieux de Philippe de Villiers n'est un secret pour personne. Catholique chrétien tendance Opus Dei, il vante les valeurs morales de l'Eglise de France et avait proposé lors de la rédaction du projet de Traité Constitutionnel Européen d'y introduire une référence à la chrétienté. Ce qui explique, outre son homophobie (croquée par les Guignols de l'Info), son islamophobie.

De Villiers mène en effet un combat personnel à l'égard de la religion musulmane qu'il considère incompatible avec la République. Aussi, stigmatise-t-il en permanence les musulmans - qui ont le malheur de vivre en marge de la ville (signification éthymologique de la "banlieue") et en marge de la société (aide sociale, marché noir, trafics en tous genres) - qu'il amalgame à des "terroristes islamistes", lesquels représenteraient une menace pour la stablité de notre pays. Sa haine a atteint son apogée lorsqu'il a dénoncé une soi-disante infitration d'islamistes à l'aéroport de Roissy. Par mesure conservatoire, des bagagistes ont été virés sans aucune autre raison que d'être musulman. De Villiers en a fait un bouquin qui lui sert aujourd'hui d'argumentaire électoral de différenciation. Pour en savoir plus sur son discours, très tendance pour qui adhère à la théorie néo-conservatrice américaine du choc des civilisations, je vous conseille de regarder cet échange (18 min) qu'il a eu avec Tariq Ramadan (théologien internationalement reconnu, sauf en France...) dans le cadre de l'émission "Ripostes" de Serge Moati sur France 5.

Philippe de Villiers, de façon encore plus affirmée que Le Pen, défend donc la vraie France. Celle à laquelle tout le monde devrait se convertir. Et si tel n'est pas le cas, on a droit à sa ritournelle : "La France, aimez-là, sinon quittez-là". Cette phrase a été reprise (?) par Nicolas Sarkozy, nouvel héraut de la droite décomplexée. Ce qui n'a cependant pas l'heur de plaire à tout le monde à l'UMP, même si, il faut bien l'avouer, les contradicteurs restent plutôt silencieux, sauf un, un sympathisant islamiste sans doute...

Blanc bonnet et beau nez blanc

Si voter Le Pen m'a un temps effleuré dans la logique révolutionnaire édictée par Dieudonné (mon maître à penser de façon subversive), je ne m'y engagerais pas. Je vote pour des gens qui me proposent un idéal de société dans lequel je me reconnais et pour lequel je donne quitus pour qu'ils le mettent en oeuvre. Je n'en suis pas encore à utiliser les armes d'ennemis pour éliminer d'autres ennemis dans l'optique "détruire le mal par le mal". Je reste encore à convaincre pour appliquer ce choix dialectique. C'est donc sans regret qu'entre Jean-Marie et Philippe, mon nez ira humer d'autres parfums.

A suivre...

A l'occasion de mon prochain pâté de campagne présidentielle, je vous proposerai un grand saut dans le grand soir avec Arlette, Olivier et José, si ce dernier ne se décommande pas au dernier moment... Et tout ça, à la bonne franquette !


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