18 avril 2007

Pâté de campagne présidentielle 2007 - Faites vos jeux, les jeux sont faits (1ère partie)


Intro globale

Plus que quelques jours avant l'épreuve. Les candidats sont fébriles et jettent leurs dernières atouts dans la bataille qui s'annonce. Une bataille pour être au sommet, pour être le premier de tous les Français. Et pour les plus ambitieux, tous les coups sont permis, de préférence les bas. Pour rassembler le maximum de suffrages, il faut savoir jouer de séduction et de démagogie. Chacun y va de son "vote utile". Votez pour moi et je vous promets le changement :

- Sarkozy lance début janvier "j'ai changé" sans préciser de quoi...
- le slogan de Ségolène Royal commence par : "Avec vous, le changement. Le vrai"
- dans son programme, Bayrou se présente comme "le candidat qui peut apporter un vrai changement dans la vie politique française".

Tous veulent le changement. Qui est contre ? Vu la situation de précarité qui est devenue la règle dans notre pays, hormis la bourgeoisie (petite et grande) qui s'enrichit sur le dos des travailleurs grâce aux dividendes des actions qu'elle possède dans les entreprises du CAC 40, tout le monde souhaite que cela change en sa faveur. Le vrai changement aujourd'hui passe par la révolution. Des idées, des pouvoirs, des représentations sociales, des mentalités, des générations et notamment celle des soixante-huitards, arrogants petits bourgeois qui sont devenus les véritables fossoyeurs de la République et de ses valeurs humanistes et d'espérance. Si Sarkozy, Royal et Bayrou n'étaient que des ados en 1968, ils en sont tout de même les produits. Peut-on croire à leurs désirs et/ou volontés de changement ?

On peut fortement en douter. Tout d'abord parce qu'ils ont en commun, hormis de payer tous les trois l'ISF, la croyance en la croissance, seul moyen disent-ils de faire baisser le chômage et de relancer l'ascenseur social. Ce credo là existe depuis plus de 20 ans et on a vu le résultat. L'augmentation des richesses n'a pas profité à tout le monde et a au contraire accru les inégalités et les gaspillages, remettant en cause non seulement notre modèle social mais aussi les principes démocratiques de représentation et de contrôle. Aujourd'hui, c'est une oligarchie financière alliée à une nomenklatura intellectuelle, médiatique et politique qui est en train de mettre à sac la société et la planète. Sarkozy, Royal et Bayrou en font bien sûr partie et malgré leurs discours rose bonbon ne se donnent absolument pas les moyens de s'attaquer aux maîtres du monde qui imposent leur diktat à l'ensemble du corps social. L'analyse de (la vacuité de) leurs programmes est assez éclairante sur leurs intentions réelles de changer la société.

Comme disait Coluche dans son sketch sur le philosophe arabe : "Ahmed, il dit toujours : li changement c'i quand on prendra li z'arabes en stop. Il est pas arrivé le pauv' mec !" Nous non plus.

Etant donnée la personnalité des derniers candidats en lice, je les scannerai un à un. Pour démarrer, honneur aux femmes avec celle qui se voit Reine Présidente : Ségolène Royal.

Toc, toc, c'est pour un sondage

Le Pen la voyait déjà candidate en 2005. Moi, c'était en mars 2004 (un mail en atteste). Voyant ? Pas du tout. Nez creux plutôt. A cette époque, sur France Inter, on commentait un sondage sur l'idée d'une femme candidate à la prochaine élection présidentielle et c'est Ségolène Royal qui arrivait première. Ce type de sondage relayé par une radio n'est jamais anodin : c'est une préparation des esprits, le début du lancement d'une campagne marketing autour d'un concept innovant en France, une femme présidente. Dans un parti dominé par une guerre fratricide des courants et très peu ouvert aux femmes, cette idée n'était pas gagnée d'avance. Elle était même osée. Pour l'imposer, on a appliqué exactement la même stratégie que lorsqu'on lance un nouveau produit sur le marché. Comme ils disent dans les reportages à la gloire du grand Capital sur M6, "voyons comment !"

Il était une fois Ségolène...


Fille d'une famille nombreuse et de militaires (dont son fameux frangin qui a participé à la piètre expédition du Rainbow Warrior), Ségolène naît à Dakar le 22 septembre 1953 et est elevée dans la rigueur morale et déjà dans l'idée de l'ordre juste. Brillante élève, elle fait l'ENA où elle rencontre le joufflu et binoclard François dont elle tombe éperdûment amoureuse avec comme résultat 4 gosses, qu'elle brandit aujourd'hui fièrement en tant que mère modèle (hum...). A l'époque, Ségolène est déjà très sérieuse et se fait remarquer par (l'incontournable) Jacques Attali qui l'embauche comme conseillère technique au secrétariat général de l'Elysée de 1982 à 1988. Mitterrand qui n'est pas insensible à son charme la parachute dans les Deux-Chèvres où elle se fait élire de justesse députée en 1988. Puis Ségolène prend l'ascenseur social : ministre de l'environnement en 1992, avocate (tiens, comme Sarko) en 1994, ministre déléguée à l'enseignement scolaire de 1997 à 2000, ministre déléguée de la famille de 2000 à 2002, présidente de la Région Poitou-Charentes depuis 2004. En fait, tout part de ce dernier événement. Une femme, présidente de région, c'est pas banale (il y a déjà pourtant eu une précédente en la personne de Marie-Christine Blandin, présidente Verte à la région Nord-Pas-de-Calais de 1992 à 1998 et qui, c'est rigolo, est née le même jour que Ségolène à un an près) et cela mérite d'être exploité.

La femme qui tombe à pic


Donc c'est à partir de 2004 que Ségolène va se (faire) forger une image de présidentiable au niveau du top management, c'est-à-dire l'Elysée. La stratégie : apparaître le maximum consensuelle et ne pas trop s'impliquer là où ça chauffe. Exemple : lors de la campagne pour le référendum sur le TCE, Ségolène se fait discrète. De même, au Congrès du Mans du PS, elle se garde bien de se mettre trop en avant. Comme ils disent dans Le Monde, le journal de révérence (à Sarkozy), "elle cultive une image de candidate au-dessus de l'appareil du parti". Et ça commence à payer. Un sondage en 2005 la donne en tête parmi les présidentiables socialistes. La graine est semée, il va suffire de l'arroser, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie...

La machine Royal est lancée et rien ne pourra l'arrêter. A l'occasion de la crise du CPE en 2006, Ségolène tente une OPA sur la jeunesse en se peopolisant dans les médias auprès de vedettes du show-biz comme Jamel Debbouze ou Diam's. C'est d'ailleurs sur un plateau de télévision (l'émission Le Grand Journal sur Canal+) qu'elle évoque sa possible candidature à la candidature. Ségolène adore les médias et se faire photographier et filmer, avec ses enfants et à leur naissance, en bikini sur la plage... Elle joue sur le côté "regardez comme je suis belle et pourtant j'ai plus de 50 ans". Des internautes lui ont donnée un nom assez bien trouvé : "la dame aux caméras". Mais dans sa stratégie marketing, Ségolène - ou plutôt sa conseillère en communication Nathalie Rastoin, directrice générale France d'Ogilvy & Mather, 2e groupe publicitaire mondial - ne se contente pas de promouvoir l'emballage, notamment la tenue vestimentaire (habillée le plus souvent en blanc, symbole de la pureté, mais aussi en bleu et rouge pour rappeler le drapeau national, et enfin en cuir noir lorsqu'elle s'adresse aux d'jeuns). Elle innove aussi en renouant les liens avec la base militante du parti socialiste et sa fameuse "démocratie participative". Exit les meetings, place au contact direct, au "one-woman-show". Dans la foulée, elle lance son slogan : "Désirs d'avenir". Cela ne veut pas dire grand chose, hormis si on est suicidaire, mais c'est consensuel. S'appuyant sur Internet et son fils Thomas pour diffuser la bonne parole et inviter les internautes à construire avec elle son programme (c'est la "ségosphère"), elle attire de nouvelles adhésions au parti socialiste grâce au prix attractif de 20 Euros (comme un billet Prem's de la SNCF, non échangeable et non remboursable). Les autres candidats à la candidature (Fabius et Strauss-Kahn) sont largués et se feront mangés tout cru lors du vote des militants qui ne respectent plus les consignes de leurs leaders.

La paix des braves(itudes)

A peine élue à la candidature officielle, Ségolène Royal connaît un trou d'air et se fait moquée chaque fois qu'elle ouvre la bouche (notamment suite à sa fameuse pseudo-boulette "bravitudienne"). Soutenue par une majorité de militants, elle est isolée par les caciques du PS qui détiennent toujours le pouvoir et cherchent à le monnayer. Ainsi, après avoir constitué une équipe de campagne resserrée autour de personnalités nouvelles comme l'incontrôlable et facétieux Arnaud Montebourg, elle est obligée de l'ouvrir finalement aux éléphants qui travaillent dès lors à son "Pacte présidentiel". En clair, on prend les mêmes et on recommence, sauf la tête de gondole qui change. Dès lors, les désirs d'avenir deviennent plus flous, édulcorés par rapport aux propositions des militants. Son programme est d'une banalité affligeante.

Travailleuses, travailleurs, au boulot

La première mesure de Ségolène Royal conviendrait à tout bon libéral qui se respecte : "relancer la croissance pour travailler tous". La réduction du temps de travail ? Une mesure de feignasses, comme si le partage du travail (genre les 35h) avait permis de créer de l'emploi et qui plus est était une valeur de gauche ! Non mais, ça va pas la tête ! Le Parti socialiste, ou plutôt le Parti libéral de gauche ou plutôt le Parti social-démocrate, s'est rangé au dogme de la croissance des richesses pour vaincre le chômage et éventuellement éponger la dette publique qui représente la 2ème dépense de l'Etat après l'éducation. Elle invoque ainsi le soutien aux entreprises qui créent de l'emploi. Par contre, rien sur les fonctionnaires... Sans déc', il est où le socialisme là ? Et c'est pas fini : rien sur la lutte contre la flexibilité, source de la précarité. Au contraire, Ségolène prône le "donnant-donnant : pas d'assistanat mais des droits et des devoirs" et "la valeur travail par la sécurité pour les salariés et la fin de la précarité (sic)". Traduction : dans les pays anglo-saxons, on appelle ça la "flex security". Emploi jetable, de courte durée mais protection sociale et ASSEDIC garanties pour survivre. Ouaaaaaais ! Les jeunes vont a-do-rer et puis ça a une autre gueule que le CPE. Tout ça emballé avec du "désir d'avenir", franchement on ne peut que kiffer grave !

Des sous, sans dessus dessous


On ne sait pas trop si Ségolène veut augmenter les impôts mais en tout cas elle veut donner plus de sous pour lutter contre "la vie chère" (on se croirait chez Intermarché), revaloriser les retraites (c'est que ça vote les vieux), construire 120 000 logements sociaux par an (c'est moins que le 1 million d'Arlette mais compte tenu de la pénurie de main-d'oeuvre dans le bâtiment, va falloir faire appel aux immigrés, avec ou sans papier), financer la recherche (va falloir donner beaucoup pour éviter la privatisation en cours). Pour la dette, on verra plus tard (mieux vaut ne pas faire de promesses...).

L'écho-logique


Là où Ségolène Royal fait fort, c'est qu'elle veut à la fois plus de croissance et "l'excellence environnementale". Franchement, ça ne veut pas dire grand chose parce que l'urgence écologique est incompatible avec la croissance de la production. En fait, si je lis entre les lignes, la reine du Poitou veut développer une économie basée sur le développement durable avec des emplois correspondant aux activités qui lui sont liées (ce qu'elle appelle "les éco-industries") mais sans remettre en cause le développement traditionnel basé sur le gaspillage des ressources et la destruction de l'environnement. Deux modèles de développement parallèles qui se font écho sans se mélanger. Encore une mesure consensuelle !

Juste un peu d'ordre

Dans ce contexte, la lutte contre l'insécurité se veut elle aussi consensuelle et pour tout dire bien gnan-gnan. Elle déclare ainsi dans son livret de propagande, attention préparez vos mouchoirs : "je veux réaliser, pour chaque enfant né ici, ce que j'ai voulu pour mes propres enfants". Cette belle envolée lyrique a ému Christiane Truffart, 74 ans, qui ajoute : "[Ségolène] est ferme avec ceux qui ne respectent pas la règle, mais elle donne en même temps sa chance à chacun" grâce par exemple au "développement des centres éducatifs renforcés", traduisez des camps militaires de redressement ou clubs Méd' mais uniquement pour Méditerranéens bien typés... Et encore, ce n'est rien par rapport à ce que nous prépare Nicolas W. Sarkozy.

Vive la France libre ! (nan, c'est une blague)


Non contente de nous donner des désirs d'avenir, Ségolène Royal veut nous rendre plus forts et notamment nous libérer de la protection militaire de l'OTAN. Enfin, elle ne le dit pas comme ça, c'est plus subtil bien sûr puisqu'elle parle du lien entre l'Europe et l'OTAN. En tous les cas, elle se démarque de Sarkozy qui revendique lui son attachement à l'atlantisme donc aux Etats-Unis. En fait, j'ai un gros doute sur la sincérité de cette déclaration vis-à-vis de l'OTAN car François Hollande et Arnaud Montebourg, attention les p'tits gars c'est du lourd, sont membres d'une fondation franco-américaine appelée "French American Foundation" qui a pour but de former des "Young Global Leaders", hérauts de l'entente cordiale entre la France et les Etats-Unis. Comme ça rien de bien méchant. Sauf que sont passés par cette organisation des gens qui a priori ne devraient pas avoir de choses en commun (des responsables politiques de droite et de gauche par exemple) et qui reçoivent une formation de quelques maîtres du monde comme David Rockfeller ou Henry Kissinger. Que sont donc allés faire Montebourg (2000) et Hollande (1996) à la FAF où l'on retrouve également des grands noms de la finance, de l'industrie et des médias ? Tisser des réseaux sans doute. Mais quand Ségolène dit "je ne suis liée à aucune puissance d'argent, aucun lobby, aucun groupe d'intérêt, [...], je suis une femme libre", doit-on la croire ? Si à la rigueur c'est vrai pour elle seule, cela l'est nettement moins pour son entourage... Dans ces conditions, on comprend mieux ses réticences à vouloir la 6e République et même les concessions acceptées par Montebourg son promoteur initial.

Désir à venir


Ségolène Royal veut "faire gagner la France". Le contraire aurait été étonnant. Mais comme tous les autres, elle veut d'abord gagner pour elle seule. Dans Ségolène, il y a "égo" et le sien est bien ancré. Elle met en avant sa condition de femme battante (pas encore battue) pour renouveler la politique en France comme Michelle Bachelet (est sensée l'avoir fait) au Chili. Certes, c'est un argument valable et intéressant. Mais pour quelle politique ? Ce que j'ai retiré de son programme ne m'incite guère à beaucoup de désir, ni d'avenir avec cette dame.

Mais le pire, c'est que ce n'est pas la pire. Le fiel suinte autre part.

La suite demain...